Cette semaine presque finie. Devant ma fenêtre, je regarde les dernières couleurs de la journée. Un halo rose allume les nuages éparpillés dans le ciel d’été. Leurs formes me rappellent le passé. Des formes qui ressemblent à des vécus d’il y a 60 ans, je les vois comme s’ils existaient encore. Des présences éphémères, qui flottent dans l’air du soir.

Une forme se clarifie, un chapeau. Je découvre la silhouette de celui que j’avais oublié depuis longtemps. J’aurais pu partir avec lui, cet été-là. On voulait fuir, on était jeunes et insouciants, bardés de rêves. Mais je suis restée sur le quai de la gare. Je ne suis pas montée. Personne ne l’a connu, c’était un secret. Je devais bientôt me marier et lui, il était arrivé comme ça, dans ma vie, imprévisible, différent, plus âgé. J’étais vraiment amoureuse. Je me demande ce qu’il a bien pû devenir. Il ne m’a jamais écrit.

La lumière s’en va, les images aériennes s’effacent. J’atterris sur le plancher de la réalité, les souvenirs appartiennent au passé et doivent y rester. Je ramasse des miettes qui restent du repas. Après avoir traversé le petit salon assis dans la pénombre de la soirée, je me dirige vers ma chambre pour préparer le lit.

Demain je reçois la visite de mes voisines, je vais leurs préparer ma fameuse recette, un gratin de blettes. Après m’être glissée dans ma chemise de nuit, j’allume la lampe de chevet où repose le cadre avec la photo de celui que j’ai épousé. Je me couche sur le côté, mon regard posé sur celui de mon mari. Il est mort tôt et ma laissée seule trop rapidement. Quelques minutes de songes, j’éteins la lumière et ferme les yeux pour faire une prière. J’ai arrêté d’y croire il y a longtemps, ce n’est plus qu’une habitude qui me suffit. Apaisée, les mots de la prière se mélangent avec ces mots presque oubliés.