Le bus n’est pas plein, je m’assoie au milieu sur un des sièges libres coté fenêtre à l’écart des autres passagers silencieux. Une demi-heure de vide devant moi. Le rythme effréné du travail à effacer. Les sensations de fatigue et les visages des clients habituels du « routier ». Je ne dors jamais dans le bus, j’observe mes jambes sous la jupe de l’uniforme et mes pieds, à peine éclairés par la lumière de l’extérieur, ils sont gonflés.

Dans l’appart, j’étends soigneusement la blouse, la jupe et le gilet noir. J’allume le répondeur, il n’y a pas de nouveaux messages intéressants, je ne compte plus sur mes amis pour m’appeler. Deux nouveaux messages ; ma sœur et mon père ne se fatiguent pas à me demander toujours les mêmes choses, le travail, les amours. Le travail est existant, les amours pas. Je mets une chemise et m’allonge entre les vêtements éparpillés sur le lit qui grince sous mon corps. Je me tourne sur de côté, un dernier regard sur mon pot de fleurs, remplit de mauvaises herbes.

Comme les personnes à l’hôtel. Je voudrais quand même être comme eux. Ils voyagent, ils sont libres, pas perdus dans un endroit pourri comme moi, qui prétend que ça ira mieux alors que ça fait bientôt trois ans que j’y suis. Les yeux fermés, je pense à quelque chose de joli pour m’aider à garder le sourire.

Je me demande comment font les vieilles femmes de chambre toutes abîmées par le travail et les produits nettoyants. Elles ont toutes trouvé des hommes de passage, d’autres se font de l’argent de poche avec ça. Moi je ne le pourrais jamais, la seule pensée d’entrer dans une chambre avec un mec nu qui m’attend me fait trembler. Que des crevards affamés, bande de pervers avec leurs compliments nuls. Mais je garde le sourire. Même quand je suis toute seule, des fois je souris. Pour ne pas déprimer, me noyer dans mes sanglots ou penser à en finir.

Un client me donne une fleur en plastique, il dit que je suis comme elle, je l’ai gardé, sur ma table de chevet elle ne me dérange pas. C’est un des rares présents sentimentaux que je possède. Il me permet de me souvenir d’une autre époque. Fleurs dans un champ. Tournesols. Mon vrai sourire s’étale sur mon visage et je me laisse tomber entre elles.